Juridique

Projet de loi 96 du Québec : définition et implications

Un chiffre tombe, net : 96. Ce n’est pas un code, ni un hasard. C’est la nouvelle frontière linguistique que le Québec s’est choisi, inscrite dans la loi, gravée dans le quotidien de milliers de citoyens et d’entreprises. Sur le papier, il s’agit de protéger le français. Dans les faits, la Loi 96 bouleverse bien plus que les habitudes de rédaction ou les vitrines des commerces.

Projet de loi 96 : pourquoi cette réforme fait tant parler au Québec ?

La Loi 96, adoptée le 1er juin 2022 par l’Assemblée nationale du Québec, ne s’arrête pas à un toilettage de la Charte de la langue française. Elle recompose le paysage linguistique québécois en resserrant l’étau autour de l’usage du français. Pilotée par Simon Jolin-Barrette et soutenue par le gouvernement Legault, cette réforme prolonge une histoire vieille de plusieurs décennies : celle de la défense acharnée du français, enclenchée avec la Loi 101.

Ce texte a mis le feu aux poudres dans l’espace public :

  • Manifestations à Montréal, contestations judiciaires, mobilisation de groupes comme le Comité spécial contre la Loi 96 : le débat ne faiblit pas, opposant la protection du français à la défense des droits individuels.
  • Le recours à la clause dérogatoire (article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés) déchaîne les passions. Québec s’autorise ainsi à passer outre certaines garanties fédérales, soulevant la question de la primauté des lois québécoises face à la Charte canadienne.

La réforme s’infiltre jusque dans la sphère privée. Les milieux d’affaires, l’éducation, les nouveaux arrivants, les communautés anglophones : tous se retrouvent concernés. La Loi 96 n’est pas qu’une affaire de juristes, elle touche à l’identité collective et aux gestes du quotidien :

  • accès aux services, rédaction des contrats, affichage commercial…
  • Le débat ne se limite pas à la technique législative ; il pose la question de ce que signifie vivre et travailler au Québec, dans un environnement dominé par l’anglais.

Les critiques pointent le risque d’isolement pour les minorités linguistiques, l’accroissement des obligations pour les entreprises. Les partisans y voient une riposte claire à la dilution du français, un prolongement naturel de la Loi 101. Entre slogans et arguments, la réforme linguistique amplifie les lignes de fracture sur le rôle du Québec au sein du Canada et sur l’avenir du français comme socle commun.

Ce que la loi 96 change concrètement pour les citoyens et les entreprises

L’application de la Loi 96 se mesure au quotidien, dans la vie professionnelle comme dans les démarches de tous les jours. Le français prend la première place dans toutes les communications : administration, commerce, entreprises. Dès 25 salariés, les sociétés doivent engager un processus de francisation et décrocher un certificat délivré par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Ce dernier voit ses missions s’élargir :

  • contrôles accrus, sanctions renforcées, injonctions immédiates, rien n’échappe à sa vigilance.

Dans les relations commerciales, les contrats d’adhésion et de consommation doivent d’abord exister en version française. Une traduction dans une autre langue n’intervient qu’après, à condition que tous soient expressément d’accord.

Les offres d’emploi publiées dans d’autres langues exigent une version française simultanée. Les employeurs ne peuvent plus demander la maîtrise d’une langue autre que le français, sauf raison justifiée et documentée.

L’emballage, l’étiquetage, l’affichage public : le français doit y dominer. Si une marque de commerce n’est pas officiellement enregistrée, elle doit être adaptée en français, sauf exception prévue pour les marques déposées.

Côté justice, les documents judiciaires et actes de procédure nécessitent une version française ou une traduction certifiée, émanant d’un membre de l’OTTIAQ.

Pour les immigrants adultes, le compte à rebours commence dès leur arrivée : six mois pour utiliser les services gouvernementaux en anglais, puis tout passe au français. Les entreprises de compétence fédérale opérant au Québec ne sont pas laissées de côté : la Charte de la langue française s’applique aussi à elles. Les sanctions font réfléchir : amendes, suspension ou suppression de permis, nullité de contrats si la loi est ignorée.

Jeunes étudiants bilingues dans la rue de Montreal

Langue, identité et débats : les enjeux derrière la nouvelle réglementation linguistique

La Loi 96 va bien au-delà des mesures administratives. Elle s’attaque à la définition même de l’identité québécoise. En imposant le français comme unique langue officielle pour tous les actes publics, le gouvernement affiche une volonté affirmée de préserver la culture francophone face à la domination de l’anglais sur le continent nord-américain. Cette réforme, portée par Simon Jolin-Barrette et entérinée par l’Assemblée nationale le 1er juin 2022, a provoqué une mobilisation inédite, aussi bien chez la majorité que dans les communautés linguistiques minoritaires.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Plusieurs groupes, réunis sous la bannière du Comité spécial contre la Loi 96, multiplient les recours juridiques et les manifestations pour dénoncer les restrictions imposées à l’usage de l’anglais. Du côté des immigrants, la période probatoire de six mois avant le passage obligatoire au français dans les services gouvernementaux est source d’inquiétude et de contestation devant les tribunaux.

L’activation de la clause dérogatoire permet au Québec de contourner certaines protections de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce choix relance le débat sur la marge de manœuvre de la province au sein du Canada et sur les frontières admissibles de la politique linguistique. La Loi 96, en somme, révèle une société en pleine réflexion sur sa cohésion et sur la multiplicité de ses voix.

Au fil des débats, une chose s’impose : la langue n’est jamais neutre, surtout au Québec. La Loi 96 n’est pas qu’un texte, elle s’inscrit dans la trame vivante d’un peuple qui cherche à préserver, coûte que coûte, ce qui le distingue. Reste à savoir jusqu’où cette quête collective peut aller sans laisser des citoyens sur le bord du chemin.